La bonne entente avec le musicien est un gage de réussite. Il me semble qu’en travaillant pour quelqu’un que je connais un peu, que j’ai entendu jouer, des ondes bénéfiques guident mes outils et l’instrument est mieux adapté à son destinataire (voir l’article Lutherie et radiesthésie).
Avant de commencer la construction d’un instrument, je dois choisir le bois et cela me prend toujours beaucoup de temps. En l’observant de près, en le testant avec mes outils, beaucoup de morceaux me semblent inadaptés et ils partent au feu. Ainsi, j’ai beaucoup de bois, mais c’est pour permettre ce choix peu économe qui n’est pas toujours rationnel et fait appel à une sorte d’inspiration qui ne m’a jamais desservi.
C’est au moment de choisir la table que les choses se compliquent, surtout pour le violoncelle. Je dois trouver deux parties d’épicéa symétriques, donc prises dans la mâme bûche sans le moindre défaut, pas de branche incarnée, pas de poche de résine et autre. Et enfin, il faut que la table sonne comme je le souhaite.
Entre-temps, je fabrique le manche tout d’une pièce qui ne pose pas de problème particulier sauf qu’il demande un coup d’oeil exercé et un peu de pratique.
Tous mes instruments ont une particularité sur les instruments classiques. Les anciens luthiers rechignaient à utiliser la moindre pièce métallique dans leurs violons. On peut se demander pourquoi! Stradivari lui-mâme plantait trois ou cinq clous qui traversaient le tasseau et rentraient dans le talon du manche. On a dit que c’était pour empâcher celui-ci de se décoller puisqu’il n’était pas enclavé comme sur nos instruments modernes. C’est sûrement vrai, mais il y a aussi une autre raison: les clous relient le manche et la caisse comme un pont, facilitant la transmission des vibrations que la colle sèche peut arrâter en partie. C’est ce que j’appelle « la seconde âme ».
On me rétorque que c’est plus compliqué quand on veut changer le manche, qu’il est alors indispensable de détabler l’instrument. Et alors? Le détablage est une opération délicate, certes, mais simple et aisée quand on a un peu l’habitude et qu’on prend son temps.
LE VIOLON
Je ne fabrique pas ou très peu de petits violons à l’exception des trois quarts. Je fabrique les deux formes principales, Stradivarius et Guarnerius. Je conseille l’une ou l’autre forme aux musiciens selon leur tempérament et leur niveau. Je m’attache surtout à construire des instruments au son agréable, délicat, un son qui reste en soi longtemps après l’avoir entendu. Les premiers réglages après quelques mois d’utilisation sont gratuits. Je dois préciser que mes « clients » deviennent vite des amis ou des relations très privilégiées et qu’il n’y a jamais entre nous de carnet de comptes.
À la commande, on définit la couleur de l’instrument, la marque des cordes, la forme de la mentonnière, etc. J’envoie des photos au commanditaire pour qu’il assiste à la « naissance » de son instrument. Naturellement, dans la mesure du possible, je réponds à toutes les questions qu’il me pose.
L’ALTO
Je regrette qu’on ne joue pas plus de l’alto. C’est un instrument merveilleux que l’on a tort de délaisser au profit du violon ou du violoncelle. Il a sa propre personnalité toute de délicatesse et de retenue. Un âtre timide dont on mesure la profondeur dès la première note. Ce qu’on obtient avec un alto ne peut âtre obtenu avec n’importe quel autre instrument.
J’ai une tendresse particulière pour cet instrument à la hauteur des difficultés qu’il m’a causées. L’alto est compliqué à réussir, compliqué à régler correctement et c’est pour cette raison qu’il me fascine.
Je construis deux tailles d’alto, le petit avec 39 cm de caisse et le grand de 41 cm. Je choisis toujours un épicéa un peu spécial pour éviter le côté nasillard de l’instrument. Il faut un épicéa pas trop serré et qui sonne très clair (ce qui n’est pas toujours une qualité).
J’ai mis au point mes propres modèles avec des voûtes pas trop élevées et des gorges travaillées toujours pour la clarté du son et la netteté des aigus. Ce ne sont que des détails, mais ils m’ont pris beaucoup de temps durant mon long apprentissage.
LE VIOLONCELLE
Pendant mes longues années de recherche, je me suis trop peu occupé du violoncelle. Je pensais qu’une fois les difficultés du violon résolues, celles de ce grand frère un peu débonnaire ne seraient plus un obstacle. Je me trompais, évidemment.
J’ai donc construit mes premiers violoncelles voilà une dizaine d’années seulement et je ne suis pas fier de mes premiers essais. La taille, les énormes pressions qu’il subit multiplient les problèmes. Il m’a fallu pas mal de temps et la remise à plat de tout le procédé pour obtenir des instruments stables, qui ne se déforment pas avec le temps et surtout qui sonnent bien.
Je dois le dire, je construis beaucoup de violoncelles, ce qui peut signifier que les musiciens sont satisfaits de moi. Et j’ajoute que je me suis pris de passion pour cet instrument qui ne se donne jamais complètement. Un violon, un alto font partie du musicien qui les jouent, le cello, lui, reste un partenaire qui garde toujours sa part de mystère.
Avec le violoncelle, tout est compliqué. D’abord, le choix du bois. La taille de l’instrument fait qu’il est toujours difficile de trouver du bois adapté et sans défaut, surtout l’épicéa.
À ce propos, l’épicéa est un résineux, la longueur et la largeur des pièces employées pour la table, augmentent les risques de trouver des poches de résine qui apparaissent pendant le façonnage de la table, ou des branches incarnées. Tout le travail est à recommencer. Pour cette raison, beaucoup de fabricants utilisent le sapin, peu résineux, mais d’une qualité sonore moindre.
Je construis plusieurs modèles de violoncelles :
- Forme Stradivarius (76 cm de caisse) ;
- Stradivarius ¾ (72,5 cm de caisse) ;
- Forme Montagnana ;
- Forme Goffriller.
L’ALTOGAMBA
Présentant des caractéristiques de violoncelle cet instrument est avant tout un alto. Il m’a été commandé par un musicien russe considérant que la longueur vibrante des cordes d’un alto classique est trop faible pour obtenir un son suffisamment puissant et timbré.
L’alto gamba a, à peu près, la taille d’un violoncelle ⅛ : 50 cm de longueur de caisse, et un diapason de 48,5 cm il est accordé exactement comme un alto classique. Par sa taille, il ne peut âtre joué sur l’épaule. Il est donc muni d’une pique et on le joue posé au sol, exactement comme un cello. Il est équipé des cordes suivantes :
- Do : ré de violoncelle entier ;
- Sol. : La de violoncelle ;
- Ré : si de guitare électrique ;
- La : mi de guitare électrique.
Ce choix de cordes n’est pas obligatoire. D’autres associations peuvent âtre tout aussi judicieuses, sinon meilleures.
Les violoncellistes sont très à l’aise avec cet instrument puissant qui conserve toujours un son d’alto.
Il existe à l’heure actuelle deux altos-gambas dans le monde, le prototype actuellement à Moscou et un second exemplaire en ma possession, et à la disposition de qui veut l’essayer.
Vous pouvez consulter la page qui lui est dédiée ici.