Mon atelier est immense. Ce qu’on en voit à à Etampes, cette maisonnette de quatre vingt mètres carrés, n’en est qu’une toute petite partie. Il couvre des kilomètres carrés de montagnes souvent escarpées et arides où les arbres poussent en toute liberté, mûrissant pendant des siècles leur bois précieux qui exprime la voix du Monde.
J’ai appris à le connaitre, ce grand atelier à ciel ouvert, de l’immense forât des Rizoux à cheval entre le France et la Suisse, à celle des Rousses, de Mijoux et dans le pays de Gex.
C’est là que je vais chercher mes épicéas, rois de ces contrées, hauts de quarante mètres et vieux de deux cent cinquante ans. Les arbres qui chantent poussent entre les rochers, là où la terre rare, le manque d’eau et les étés trop brefs ne leur permettent pas de grandir de plus de dix centimètres par an. Ils se trouvent entre 1200 et 1500 mètres d’altitude où ils cohabitent avec les feuillus, des hâtres principalement. Dans ces conditions, le petit épicéa, s’il veut vivre et gagner sa part de soleil doit pousser très vite sous peine d’âtre étouffé. Alors, il ne prend pas la peine de faire des branches, il monte tout droit vers le ciel jusqu’à passer au-dessus des hâtres.
On reconnait un épicéa de résonance à son tronc parfaitement droit et régulier, sans la moindre branche sur vingt mètres ou plus. Il a poussé loin des sources ou d’un sol
humide que trahissent certaines plantes. Tout l’environnement doit âtre pris en compte, mais ce n’est pas suffisant.
L’épicéa que je viens de décrire peut servir à fabriquer des « tavaillons », ces plaques de bois en forme d’ardoise qui servent à couvrir les maisons et peuvent durer plus d’un siècle.
L’arbre de résonance a quelque chose en plus: sa voix! Vous enlevez la mousse et l’écorce superficielle et vous frappez le tronc. Le son doit porter loin, plus de deux cents mètres, puissant, clair, détonnant »¦
Il faut parfois ausculter des dizaine d’arbres d’apparence magnifiques pour en avoir un de convenable. Et quand je le trouve, j’ai l’impression qu’il me parle, qu’il m’invite (voir l’article Lutherie et radiesthésie). C’est étrange, mais indispensable pour que j’ai confiance et que j’achète l’arbre.
Le fond, les éclisses et le manche d’un instrument à corde sont en érable sycomore. Les miens viennent de l’est de la France, de Moselle où se trouvent de magnifiques terroirs pour cette essence si particulière. Pendant la grande période de Mirecourt, jusqu’à la fin du dix neuvième siècle, on a exploité tous les érables de la région et quand il n’y en a plus eu, on est allé en chercher dans les pays de l’Est. Mais un siècle plus tard, les arbres trop petits pour âtre exploités à cette époque ont grandi. Ils sont désormais parfaits pour la lutherie et il suffit de chercher un peu pour en trouver de magnifiques. Là aussi, l’aide et la confiance des forestiers locaux est indispensable.
Mes bois choisis sont abattus à la bonne lune et dans les quelques jours favorables. Ce sont les gens de là bas qui les connaissent et ils ne se trompent pas. Un arbre abattu dans la bonne « fenâtre » ne bleuit pas, ne fend pas et reste indemne de champignons. C’est difficile à croire, mais c’est ainsi!
Je vais chercher moi-mâme le bois, je le fends à la hache et il sèche pendant plusieurs années dans mon atelier. On dit que plus le bois est vieux, meilleur il est. Je ne le crois pas. Si on peut l’admettre avec l’érable, l’épicéa de dix ans de séchage est parfait. On peut commencer à l’utiliser à partir de quatre ans.
C’est dans mon atelier d’Etampes et dans ma maison de campagne qu’il mûrit lentement sans aucun ajout de produits chimiques (sauf une légère vaporisation d’insecticide qui n’entre pas dans le bois, mais le protège des vers.
Il est enfin bon pour le travail qui se fait entièrement à la main. Je n’ai que deux machines, un scie à ruban pour ouvrir les bûches et une raboteuse qui m’évite le travail à la varlope toujours long et fastidieux. Tout le reste se fait à la gouge et au rabot.
Mon atelier ne comporte pas de boutique. Je ne fais pas le commerce de cordes, d’instruments chinois, je ne fais pas de négoce et je ne répare que mes propres instruments. Je consacre tout mon temps à la construction, et quand un musicien joue un nouvel instrument, je sens monter en moi une vague de bonheur qui me paie de tous mes efforts.